Cancers : la recherche hyperactive
La recherche en cancérologie est extrêmement productive dans le monde. Les avancées s’accélèrent, portées par une compréhension croissante des mécanismes intimes de développement de la maladie et des technologies toujours plus performantes.
De nombreuses innovations, tant en matière de prévention, de dépistage, de diagnostic que de thérapeutique, sont aujourd’hui en préparation dans les laboratoires. La recherche translationnelle, basée sur une étroite interaction entre la recherche fondamentale et les médecins, vise à mettre en application les connaissances nouvelles sur la maladie. Elle permet aux malades de participer à des programmes de recherche clinique. Ses avantages :
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bénéficier des avancées au jour le jour ;
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contribuer directement à faire avancer la recherche.
Cette dynamique laisse penser que les cancers les plus difficiles à traiter aujourd’hui seront réduits demain à l’état de maladie chronique grâce à une combinaison variée d’approches complémentaires.
Voici, esquissées, quelques-unes des grandes pistes suivies par les scientifiques. Elles ne reflètent qu’une partie des recherches en cours tant celles-ci sont vastes.
Prévention
La recherche des facteurs protecteurs et des facteurs de risque, notamment environnementaux, permet à la fois de comprendre les mécanismes de cancérisation et de faire progresser la prévention. Des exemples récents :
- L’effet préventif de la vitamine D : une étude américaine, publiée en avril 20161, a montré qu’au-delà d’un certain seuil, des femmes avec un taux sanguin plus élevé de vitamine D ont un risque de cancer fortement diminué par rapport aux femmes présentant un taux inférieur.
- Traffic routier et risque de leucémie chez l’enfant : une étude française de 20152 a pointé une fréquence en hausse de 30 % pour certains types de leucémie chez les enfants habitant à moins de 150 m de routes à grande circulation et dont la longueur cumulée dans ce rayon dépasse 260 m.
Dépistage
Le dépistage précoce du cancer est un enjeu majeur qui conditionne la réussite des traitements. Nombreuses sont les recherches pour améliorer les techniques existantes et en concevoir de nouvelles moins invasives, plus fiables. Des exemples récents :
- Un test d’haleine pour dépister les cancers de l’œsophage et de l’estomac3 : une étude anglaise présentée en janvier 2017 vient de démontrer la possibilité de détecter ces cancers via le taux de composés chimiques volatiles spécifiques présents dans l’haleine des patients. Ce test non invasif pourrait limiter le recours à l’endoscopie et permettre une détection plus précoce.
- Un matériau semi-électronique pour détecter les tumeurs du sein4 : une équipe sino-américaine vient de mettre au point un matériau très fin et souple composé de nanotubes de carbones et de capteurs électroniques. Il accroît l’efficacité de la palpation mammaire en quantifiant précisément de faibles variations de pression. Cette membrane synthétique pourrait à l’avenir être intégrée à des gants pour une détection fiable et précoce de tumeurs mammaires.
- Une révolution dans l’imagerie médicale5 : une équipe française a mis au point la première technique d’imagerie microscopique permettant, grâce à des ultrasons, de voir en profondeur dans les tissus. Elle pourrait être efficace dans la détection de très petites tumeurs, cérébrales par exemple.
Diagnostic et pronostic
- La biopsie liquide pour adapter le traitement ou prévoir les récidives : il est aujourd’hui possible, à partir d’une simple prise de sang, de repérer de très faibles quantités de cellules tumorales circulantes ou d’ADN tumoral. Des exemples récents :
- En déterminant les anomalies génétiques présentes dans ces cellules, une équipe anglaise6 a montré qu’il était possible de prédire l’efficacité des traitements chez des patients atteints de cancer du poumon avancé pour les adapter en conséquence.
- Une équipe américaine7 a quant à elle utilisé l’ADN tumoral circulant (provenant de la dégradation de cellules tumorales mortes) pour suivre l’évolution de cancers de l’ovaire et détecter très tôt la rechute, avant même l’apparition d’une nouvelle tumeur. Un résultat important car 75 % des cancers de l’ovaire récidivent.
- À partir de l’ADN circulant de patients atteints de cancer colorectal, des chercheurs français8 ont montré qu’il était envisageable d’en suivre l’évolution et de détecter tôt une éventuelle récidive.
- La longueur des extrémités des chromosomes, un paramètre pour le pronostic ?Les extrémités des chromosomes, appelées télomères, protègent le matériel génétique. Elles raccourcissent à chaque multiplication cellulaire ; au-dessous d’une longueur critique, la cellule meurt. Selon une étude menée par des chercheurs danois9 , des extrémités de chromosomes plus courtes dans les cellules tumorales sont associées à un taux de mortalité réduit chez des patients atteints de cancer. Un mécanisme qui pourrait en outre devenir une cible thérapeutique (voir paragraphe «Immunothérapies » ci-après).
Mécanismes moléculaires
Comprendre les mécanismes moléculaires qui gouvernent le développement tumoral et le processus métastatique est la clé pour parvenir à lutter efficacement contre la maladie. Des exemples récents :
- Un catalogue complet des anomalies génétiques de 50 tumeurs du sein : en 2016, grâce au consortium international de génomique du cancer (ICGC) auquel participe la France, le premier séquençage complet (détermination de la séquence de l’ADN) de 560 tumeurs du sein a été réalisé. Bilan : plus de 1 600 altérations suspectées d’être à l’origine du développement tumoral ; 93 gènes différents en cause dont 10 altérés de manière récurrente.
- La niche tumorale et les cellules souches tumorales : des travaux visent à caractériser les composants de la niche de manière à cerner les interactions entre la tumeur, son microenvironnement (cellules voisines qui favorisent sa croissance) et les cellules souches tumorales. C’est un enjeu majeur aujourd’hui pour comprendre comment ces cellules particulières provoquent les résistances et les rechutes, et concevoir de nouvelles stratégies thérapeutiques originales.
Une équipe française10 a par exemple montré que des nanotubes, sorte de tunnels, se forment entre des cellules souches et des cellules cancéreuses ; ils permettent le transfert de mitochondries (les usines à énergie de la cellule) vers les cellules cancéreuses, ce qui augmente leur potentiel de prolifération et d’invasion. - La piste épigénétique : l’épigénétique regroupe des mécanismes qui régulent l’activité des gènes dans la cellule sans modifier leur séquence. Ces mécanismes, lorsqu’ils sont altérés, participent au développement tumoral ; et comme ils sont réversibles, cela en fait des cibles intéressantes dans la mise au point de traitements.
Une équipe belge11 a découvert qu’ au sein d’un même tissu, selon leur « état » épigénétique, certaines cellules peuvent donner des cancers très agressifs avec métastases tandis que d’autres donnent naissance à des cancers moins invasifs.
De même des processus épigénétiques pourraient être à l’origine de l’état de dormance des cellules souches tumorales.12
Les « épidrogues » dirigées contre les modifications épigénétiques actuellement disponibles sont encore trop peu spécifiques et entraînent une toxicité. Les recherches se poursuivent donc.
Traitements
Les recherches sur les traitements, innombrables, exploitent directement les mécanismes de cancérisation découverts. De nombreuses innovations sont en cours.
- Les immunothérapies, des approches prometteusesLes immunothérapies ont pour but de stimuler le système immunitaire, demanière à l’aider à détruire les cellules cancéreuses. Plusieurs approches sont déjà utilisées avec succès, comme l’injection d’anticorps dirigés contre une protéine particulière produite par les cellules cancéreuses : on parle de thérapie ciblée.
D’autres types d’immunothérapies sont explorés, comme les vaccins thérapeutiques. Ils consistent à éduquer le système immunitaire : en manipulant des cellules immunitaires du patient in vitro,on leur apprend à reconnaître les cellules tumorales comme dangereuses.
Des exemples récents :
- Un essai clinique de phase 1 mené chez des patients atteints de cancers métastasés a montré des résultats encourageants13 : le vaccin, mis au point par la société parisienne Invectis, est dirigé contre la télomérase, une enzyme présente dans presque toutes les cellules cancéreuses qui permet la multiplication infinie des cellules.
- Des chercheurs américains ont annoncé les résultats positifs d’un essai visant à stimuler la réponse immunitaire chez des patientes atteintes d’un type de cancer du sein agressif14.
- Bloquer le métabolisme de la cellule cancéreuseLes cellules cancéreuses ont un métabolisme modifié qui leur permet de soutenir leur prolifération grâce à une production énergétique particulière. Des stratégies thérapeutiques visent à le modifier afin d’« affamer » ces cellules. Des exemples récents :
- Priver les cellules leucémiques de fer peut arrêter leur multiplication.
- Une équipe canadienne a identifié une enzyme impliquée dans la reprogrammation du métabolisme de cellules de cancer du poumon15 ; elle pourrait être une cible pour empêcher la croissance tumorale.
- Utiliser la thérapie géniqueIntroduire un gène « suicide » dans les cellules de la tumeur : c’est ce qu’ont fait, avec succès, des chercheurs français chez des souris16. Ils tentent actuellement d’adapter cette stratégie à l’Homme.
- La thérapie photodynamique, l’aide de la lumière pour traiterLe principe repose sur la toxicité d’une molécule activable par la lumière. Cette molécule est mise en contact avec le tissu tumoral puis un laser est dirigé vers la tumeur. La réaction induite produit des composés très toxiques qui détruisent les cellules cancéreuses. Elle est mise en œuvre dans certains cancers (peau, œsophage…). Des recherches pour l’appliquer dans d’autres types de cancers, comme ceux du cerveau, sont en cours.
Aides à l’administration des traitements : les nanotechnologies
Ces technologies à l’échelle du millionième de millimètre, sont en plein essor en cancérologie. De nombreux essais en cours ouvrent de nouvelles perspectives. Des exemples récents :
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Des nanoparticules peuvent servir de véhicules pour conduire directement la molécule thérapeutique à la tumeur, où elle y est délivrée. Une équipe sino-américaine a ainsi obtenu la disparition de cancers avancés chez des souris17.
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L’entreprise française Nanobiotix teste actuellement une innovation18 : des nanoparticules qui, injectées dans la tumeur, amplifient l’effet de la radiothérapie tout en préservant les tissus environnants.
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Des nanotubes injectés dans la tumeur sont activés par laser : ce procédé, mis au point par une équipe française19, permet de chauffer sélectivement la tumeur, ce qui la ramollit et la rend plus perméable aux molécules thérapeutiques.
MarangonI et al. Tumor stiffening, a key determinant of tumor progression, is reversed by nanomaterial-induced photothermal therapy. Theranostics 2017; 7(2): 329–343. Doi: 10.7150/thno.17574