Autres vaccins, traitements contre le cancer ou les maladies auto-immunes… Les promesses de la technologie ARN pour l’après Covid-19
Les vaccins contre le Covid-19 de Moderna et BioNTech-Pfizer ont démocratisé les technologies à ARN messager. L’Usine Nouvelle, avec l’aide de Bruno Pitard, fait le tour de ce qui s’annonce être un tournant pour soigner de nombreuses maladies. De quoi expliquer pourquoi le français Sanofi s’est emparé le 9 avril de la biotech Tidal Therapeutics, spécialisée dans ces technologies.
« La vaccination du futur, aujourd’hui, on y est. » Rien que ça. Après 25 ans « dans le milieu », Bruno Pitard voit enfin la technologie dont il était l’un des pionniers en France sur le devant de la scène : les vaccins à ARN messager (ARNm). Cette stratégie vaccinale a gagné une légitimité pendant la crise du Covid-19. Comme toute nouvelle avancée scientifique, les vaccins à ARNm ont pu faire peur. « Mais ceux développés par BioNTech-Pfizer et Moderna sont terriblement efficaces, estime le chercheur du CNRS. Aujourd’hui, tout le monde les veut ! » Et cela ouvre de nouvelles possibilités car cette technologie n’est pas spécifique au SARS-CoV-2.
Les vaccins à ARNm reposent sur un principe simple :
donner à notre organisme les moyens de créer une cible. En effet, l’ARNm contenu dans les vaccins donne les plans de fabrication d’une protéine spécifique. Cette protéine, appelée antigène, est reconnue par notre système immunitaire qui la prend pour cible. Une fois produite, elle entraîne notre corps à reconnaître un pathogène et à l’éliminer. Dans le cas du Covid-19, cette cible est la protéine S ou Spike, désormais célèbre.
Lutter contre les maladies infectieuses
« Il n’y a pas de raison de penser qu’on ne pourra pas développer des vaccins contre d’autres maladies infectieuses avec cette technologie », poursuit Bruno Pitard. Le tout est de trouver un bon antigène et d’avoir un transporteur pour faire entrer l’ARNm dans la cellule. Et plusieurs industriels sont sur le coup. En vue, des vaccins contre le chikungunya, le zika, la dengue ou encore la grippe. « Pour ces virus, trouver un bon antigène est assez facile », relativise le chercheur, qui est aussi dans la course avec son entreprise In-Cell-Art (Loire-Atlantique). Leur vaccin contre la dengue, développé en collaboration avec l’Institut Pasteur et BioNet-Asia, est encore en développement clinique et n’est donc pas arrivé au stade de l’essai sur l’homme. Sanofi n’a pas réussi à passer cette étape pour son propre vaccin ARNm, une alternative au controversé Dengvaxia qu’il a déjà mis sur le marché.
Une nouvelle voie contre le cancer
Aussi, la technologie de l’ARNm offre de nouvelles voies pour combattre le cancer. De la même manière, l’injection va pousser l’organisme du patient à produire une cible, ici une protéine tumorale, l’équivalent d’un antigène pour les cancers. « Dans le cas du cancer du foie, 70% des patients produisent une certaine protéine tumorale, détaille Bruno Pitard. On peut donc faire un ARNm qui code cette protéine et on demande au système immunitaire de réagir spécifiquement pour détruire les cellules qui l’expriment. » Les recherches dans cette voie portent aussi sur les cancers de la prostate, de l’ovaire, du sein…
Une piste pour le VIH et certaines maladies auto-immunes
Pourtant la recette miracle a un grand défaut : il faut avoir un bon antigène. C’est là que le bât blesse dans le cas des cancers mais aussi pour certaines maladies infectieuses, comme pour le VIH. Généralement dans la vaccination, on inocule à un patient un antigène et on demande à son organisme de produire les anticorps pour lutter contre. Mais l’ARNm offre d’autres alternatives dans les cas où l’on ne trouve pas de bon antigène. « Par exemple, on a trouvé des patients qui ont réussi à se débarrasser du VIH, développe Bruno Pitard. On peut donc regarder quels types d’anticorps ils ont produits. Si l’on connaît déjà les anticorps, on peut en ressortir les séquences codantes et en faire des ARNm. » Une fois injectés dans un tissu musculaire, il y aura production d’anticorps sans avoir eu à passer par un antigène.
Une autre alternative permettrait de lutter contre certaines maladies auto-immunes. Dans un article scientifique, produit par une équipe de BioNTech, des ARNm sont utilisés pour éliminer, chez des souris, une maladie équivalente à la sclérose en plaques chez l’homme. Dans ce cas, l’idée est de rééduquer le système immunitaire. « Dans la sclérose en plaques, le système immunitaire des patients attaque une protéine du soi », explique le chercheur. Le corps s’attaque lui-même. Pour le calmer, il faut faire intervenir des cellules régulatrices. Il s’agit alors de produire un ARNm codant pour la protéine attaquée, dans un contexte non-inflammatoire. « Le patient va alors produire des lymphocytes T régulateurs qui vont empêcher les autres cellules d’attaquer les protéines du soi. » Cette approche ouvre de nouvelles voies thérapeutiques notamment pour la maladie de Crohn ou encore la rectocolite hémorragique.
Des outils de production versatiles
Avec la crise sanitaire, les laboratoires pharmaceutiques se sont lancées dans une compétition acharnée. Les technologies à base d’ARNm ont de beaux jours devant elles. Non contentes d’offrir des solutions de soin innovantes, elles ont l’avantage d’être extrêmement versatiles. « Elles ont les mêmes procédés industriels », analyse Bruno Pitard. Les usines et technologies qui produisent les vaccins à ARNm contre le Covid-19 pourront être utilisées pour ceux contre le zika, le chikungunya, la grippe… « BioNTech et Moderna seront certainement les leaders dans ce domaine. Ils ont changé de dimension avec la crise. Ils ont un coup d’avance sur les autres et ne vont pas se priver de décliner la technologie. » Pourtant, il ne faut pas enterrer leurs concurrents tout de suite. Sanofi était ainsi partenaire de longue date de… BioNTech, avec laquelle il planchait sur des traitements du cancer depuis 2015. Le Français entend désormais mettre les bouchées doubles sur cette technologie: il a racheté le 9 avril la société Tidal Therapeutics, spécialisée dans les technologies ARN pour 160 millions de dollars, auxquels pourront s’ajouter jusqu’à 310 millions de dollars en paiements par étape. Si nous sommes bien arrivés dans le futur de la vaccination, la compétition, elle, ne fait que commencer
Simon Philippe