Face aux patients atteints de cancer, les médecins ont longtemps traité une tumeur. Mais soigner le corps s’est parfois fait sans prendre soin de l’esprit. Trois études présentées dans le cadre du congrès 2017 de l’ASCO soulignent l’importance d’une prise en charge psychologique tout au long du parcours de soins.
Aider au moment du diagnostic
L’annonce du diagnostic de cancer reste un choc et suscite inquiétude et angoisse pour les patients et leur famille. Ces sentiments peuvent naturellement affecter la qualité de vie, mais également l’évolution de la maladie avec une moins bonne observance ou la tolérance de certains traitements. Malgré la mise en place du dispositif d’annonce mis en place dès le premier plan Cancer en France 2003-2007, beaucoup de patients peinent à recevoir un soutien psychologique constant. Une étude suisse a montré l’intérêt d’un programme de gestion du stress online pour ces patients. « Apporter une aide psychologique pour les patients au début de leur traitement est difficile par manque de disponibilité de la part des patients (en particulier au moment où les rendez-vous médicaux s’enchaînent après un diagnostic de cancer) et des praticiens. Avec ce programme en ligne, nous essayons de solutionner ce problème » juge l’auteur principal de l’étude1, le Pr. Viviane Hess, oncologue à l’hôpital universitaire de Bâle. D’autant plus que 70 % des patients atteints de cancers vont naturellement chercher des informations sur Internet.
Ce programme en ligne de 8 semaines baptisé STREAM développé par des oncologues et des psychologues repose sur des approches cognitivo-comportementales largement utilisées dans le cadre de psychothérapie en face à face. Articulé autour de huit modules, il offre aux participants des informations écrites et audio, ainsi que des exercices et des questionnaires complets. Les psychologues analysent les progrès des patients chaque semaine et fournissent des conseils personnalisés écrits via un portail sécurisé en ligne. Tous les psychologues étaient à Bâle, mais les patients étaient en Allemagne, en Suisse et en Autriche. Les patients pouvaient également écrire directement aux psychologues dans le cadre de ce programme en ligne. Conduite sur 129 patients (la moitié bénéficiant de STREAM et l’autre du suivi standard), l’étude montre après deux mois une amélioration de qualité de vie et de l’humeur. Néanmoins, les niveaux d’anxiété et de dépression étaient les mêmes dans les deux groupes.
Pour rendre le programme accessible à plus de patients, les chercheurs ont l’intention de le traduire dans d’autres langues (il est actuellement disponible uniquement en allemand) et d’élaborer des programmes en ligne où les psychologues peuvent être formés pour l’utiliser. « Je pense que le soutien psychologique en ligne sera beaucoup plus important dans les années à venir, car la génération numérique atteint l’âge où les risque de cancer sont plus importants. Pour eux, il sera naturel d’utiliser de tels outils en ligne et de communiquer sans interaction en face-à-face, et c’est donc maintenant le moment de normaliser et de valider ces outils« , a déclaré le Dr Hess.
Ne plus négliger la peur de la rechute
Une autre étude s’est intéressée à un sujet étonnamment peu étudié et pourtant capital pour les patients : la peur de la rechute. Environ 50% de tous les patients guéris et 70% des jeunes femmes traités avec succès pour un cancer du sein ont peur de la récidive de manière plus ou moins importante. Cette peur peut parfois affecter le suivi médical, l’humeur, les relations familiales, professionnelles, le fait d’avoir des projets… Pourtant, la prise en charge de ces craintes est quasi-inexistante, une fois le cancer guéri ou en rémission. Une équipe australienne a mis au point un programme baptisé Conquer Fear basé sur 5 sessions en face-à-face de 60 à 90 mn pendant 10 semaines autour de 5 thèmes : accepter l’incertitude inhérente à une possible récidive, stratégies pour contrôler l’inquiétude, aider à mieux cerner ce que les patients attendent de leur vie, choisir un niveau raisonnable de dépistage du cancer et s’y tenir…
Comparé chez 222 patients à un programme de relaxation (111 patients dans chaque groupe), Conquer Fear a considérablement abaissé la peur de la récidive très rapidement avec des effets durables constatés 3 et 6 mois plus tard2. L’anxiété générale, la peur liée au cancer et la qualité de vie étaient également meilleures dans le groupe ayant bénéficié de ce programme. Les chercheurs étudient les moyens de rendre ces interventions possibles par d’autres professionnels de santé, évitant ainsi le problème de manque de psychologues spécialisés en oncologie.
Le soutien psychologique indispensable jusqu’au bout
Enfin, une étude canadienne s’est intéressé aux patients atteints de cancers avancés et dont le pronostic vital est rapidement engagé. L’équipe du Pr. Rodin a mené une étude3 portant sur 305 patients atteints de ce type de cancer en leur apportant un soutien psychologique selon le programme baptisé CALM (3 à 6 séances individuels de 45 à 60 mn conduites sur une période de 6 mois, auxquelles les familles pouvaient assister). Quatre grands domaines étaient abordés : le contrôle des symptômes, la prise de décision médicale et les relations avec les professionnels de santé ; les changements dans les relations personnelles, la spiritualité et le « sens de la vie » ; le futur, l’espoir et la mortalité. « CALM se distingue des autres interventions en ce sens qu’il est destiné à aider les patients à vivre avec une maladie avancée, plutôt que de les préparer à la fin de la vie, et en ce sens, il est axé sur des problèmes pratiques et d’autres plus existentiels auxquels sont confrontés ces patients victimes de cancer avancé« , a déclaré le docteur Rodin.
Résultat : Après 3 mois, 52% des patients qui ont suivi le programme CALM ont eu une réduction cliniquement importante de leurs symptômes dépressifs, comparativement à 33 % des patients qui ont reçu des soins habituels. Des bénéfices qui sont toujours significatifs à 6 mois (65 % vs 35 %). Ces patients se sont sentis mieux écoutés et compris quant à l’impact de la maladie, ont mieux communiqué avec les professionnels de santé et leur famille, ont pu faire le point sur leurs croyances et leur valeurs et étaient mieux préparés à leur fin de vie.
Ces trois études montrent l’importance de la prise en charge psychologique des patients tout au long de leur parcours de soins. Au-delà d’une prise de conscience tardive de cette dimension par le monde médical, cet aspect du traitement pourrait rapidement être confronté au manque de professionnels qualifiés dans ce domaine. La formation d’autres professionnels de santé sur des programmes validés et/ou la mise en place de soutien en ligne seront-ils suffisants pour aider les patients encore trop souvent laissés seuls ?